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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/28

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MADELEINE FÉRAT

— C’est fini, dit-elle. Venez Guillaume, il n’y a plus d’éclairs.

Le jeune homme, soulagé, respirant à l’aise, vint s’accouder auprès d’elle. Ils restèrent là un moment. Puis elle tendit la main au-dehors.

— Il ne pleut presque plus, reprit-elle. Il nous faut partir, si nous ne voulons pas manquer le dernier train.

La cabaretière entrait dans la salle.

— Vous couchez ici, n’est-ce pas ? demanda-t-elle. Je vais préparer votre chambre.

— Non, non, répondit vivement Madeleine, nous ne couchons pas ici, je ne veux pas. Nous n’étions venus que pour dîner, n’est-ce pas Guillaume ? Nous allons partir.

— Mais c’est impossible ! Les chemins sont impraticables à cette heure. Vous n’arriverez jamais.

La jeune femme paraissait très agitée. Elle se débattait, elle répétait :

— Non, je veux m’en aller ; nous ne devions pas rester la nuit.

— Faites comme vous voudrez, reprit l’hôtesse, seulement, si vous vous hasardez dehors, au lieu de coucher à l’abri, vous coucherez dans la campagne : voilà tout.

Guillaume ne disait rien ; il se contentait de regarder Madeleine d’une façon suppliante. Celle-ci évitait de rencontrer ses regards ; elle allait et venait d’un pas fiévreux, en proie à une lutte violente. Elle finit, malgré sa ferme intention de ne point le regarder, par lever les yeux sur son compagnon ; elle le vit si humble, si soumis devant elle, que sa volonté s’amollit. Il y eut un échange de regards qui la brisa. Elle fit encore quelques pas, le front dur, la face froide ; puis, d’une voix nette et brève :

— Soit ! dit-elle à la cabaretière, nous coucherons ici.

— Alors je vais préparer la chambre bleue.

Madeleine eut un brusque mouvement.

— Non, pas celle-là, une autre, reprit-elle d’un ton étrange.

— C’est que toutes les autres sont occupées.