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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/29

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MADELEINE FÉRAT

La jeune femme hésitait encore. Un nouveau combat se livrait en elle. Elle murmura :

— Nous ferions mieux de partir.

Mais elle rencontra une seconde fois le regard suppliant de Guillaume. Elle céda.

Pendant qu’on mettait des draps au lit, les jeunes gens sortirent du restaurant. Ils allèrent s’asseoir sur le tronc d’un arbre abattu qui gisait dans un pré, à l’entrée du bois.

La campagne respirait au loin, dans la fraîcheur de la pluie. Des souffles froids traversaient l’air tiède encore où traînaient des senteurs âcres de verdure et de terre mouillées. Des bruits étranges s’élevaient sous le bois, des bruits de feuilles qui s’égouttaient, de gazons qui buvaient l’eau tombée. C’était un frisson universel, ce frisson voluptueux des champs dont un orage a abattu la poussière. Et ce frisson qui courait dans la nuit noire, prenait aux ténèbres leur charme mystérieux et pénétrant.

Une moitié du ciel, d’une sérénité exquise, était étoilée ; l’autre moitié se trouvait encore couverte d’un rideau sombre de nuages qui se retiraient lentement. Les deux jeunes gens, assis côte à côte sur le tronc d’arbre, ne pouvaient distinguer leur visage ; ils s’apercevaient vaguement, dans l’ombre épaisse qu’un bouquet de grands arbres jetait sur eux. Ils restèrent là quelques minutes sans parler. Ils entendaient leurs pensées. Ils n’avaient que faire de les dire à haute voix.

— Vous ne m’aimez pas, Madeleine, murmura enfin Guillaume.

— Vous vous trompez, mon ami, répondit lentement la jeune femme, je crois que je vous aime. Seulement je n’ai pas eu le temps de m’interroger et de me répondre… J’aurais voulu attendre encore.

Il y eut un nouveau silence. La fierté du jeune homme souffrait ; il aurait désiré que son amante tombât dans ses bras d’elle-même, qu’elle n’y fût pas poussée par une sorte de fatalité.