Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/285

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quêtes. C’était une excellente façon d’exaspérer les amants l’un contre l’autre, de les pousser à des scènes terribles dont il jouissait en gourmet. Quand il avait machiné une bonne déception, il se régalait, pendant des journées entières, des épouvantes humbles d’Hélène et de l’attitude irritée de Tiburce. Celui-ci arrivait, les lèvres serrées, la face pâle, fermant les poings, tâchant d’attirer sa maîtresse dans quelque coin pour la brutaliser. Mais, ces jours-là, elle s’entêtait à ne point s’éloigner de son mari ; frissonnante, les yeux rougis, elle implorait son amant du regard. Et le sourd se faisait plus dur d’oreille, il prenait un air d’imbécile heureux. Puis, quand Tiburce avait réussi à entraîner Hélène au bout de là pièce, quand il s’emportait jusqu’à la secouer rudement, le sourd, bien qu’il affectât de tourner le dos, semblait tout entendre, les paroles et les coups. On ne le voyait pas, sa face prenait une expression de cruauté diabolique.

Aussi Tiburce commençait-il à croire que sa maîtresse était sans aucune puissance et ne pouvait le servir en rien. Cela le rendait impitoyable pour elle ; une idée seule le tenait, celle de se venger de ses quatre années de service inutile, de la planter là, en lui jetant une dernière injure. Jusqu’à ce jour, il n’avait pas osé la quitter complètement, ne pouvant se décider à abandonner les bénéfices d’une affaire qui lui coûtait déjà tant de soins pénibles. Il finissait toujours par reprendre ses corvées ; il mettait le ciel dans sa cause, se disait que la providence serait déloyale si elle ne le récompensait pas de sa constance. Mais aujourd’hui toute espérance avait disparu ; il était fermement résolu à rompre.

Guillaume écouta d’un air compatissant les paroles furieuses de Tiburce. Il était bien un peu dégoûté par les amours du jeune homme mais il se laissait prendre à sa comédie de regrets et d’indignation. L’autre se confessait uniquement pour se soulager, et aussi pour expérimenter sur son ami, qu’il savait délicat et prude, la façon dont il devrait s’excuser, auprès du monde, de sa liaison ridicule