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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/284

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ancien camarade de collège s’il se trouvait satisfait de son séjour à Paris. Cela lui importait peu, il détestait ce garçon, mais il était heureux de l’avoir avec lui pour s’étourdir. Tiburce répondit d’une voix sourdement irritée que rien ne lui avait encore réussi. La question innocente du jeune homme l’atteignait au vif de ses plaies.

Il se mit à fumer fiévreusement ; puis, au bout d’un court silence il se laissa aller à la rage qui couvait en lui. Il se confessa à Guillaume comme sa maîtresse se confessait à Madeleine, mais avec une crudité de paroles autrement énergique. Il parla de madame de Rieu en employant le langage dont on se sert entre hommes pour parler des filles publiques. Cette femme, disait-il avec un aplomb écrasant, avait abusé de sa jeunesse ; mais il n’entendait point que sa vie fût brisée par un amour ridicule ; il était bien résolu à s’arracher des bras de cette mégère dont les baisers le dégoûtaient. Ce qu’il n’avouait pas, c’était la colère de son ambition déçue. Tout son écœurement venait du peu de profit qu’il avait tiré jusque-là de ses baisers. Cela lui permettait de jouer le rôle d’un pauvre jeune homme égaré par son inexpérience dans la couche d’une vieille femme. Si Hélène l’eût fait nommer auditeur au Conseil d’État ou attaché d’une ambassade quelconque, il n’aurait eu que des éloges doucereux ; il se serait appliqué à justifier sa situation auprès d’elle. Mais, comprenez-vous cela, ses caresses ne lui étaient pas même payées ! Tiburce Rouillard n’était pas un garçon à donner quelque chose pour rien.

Il n’ignorait pas cependant que la pauvre femme n’avait point épargné ses pas ni ses démarches. Son désir ardent de lui être utile le touchait peu ; il voulait des résultats, et sa maîtresse n’en obtenait aucun par une sorte de fatalité. Cette fatalité n’était autre que M. de Rieu ; le vieillard, comprenant que la comédie serait moins drôle si Tiburce recevait le prix de ses baisers, allait sournoisement, à chaque nouvelle tentative de sa femme, combattre derrière elle sa protection et faire échouer ses plus habiles re-