Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/293

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dant des heures, les époux gardaient un silence morne. Madeleine avait aux lèvres un léger pli de souffrance et de dédain ; Guillaume se réfugiait dans cette fierté nerveuse, dans cette certitude des noblesses et des affections de son cœur, qui était sa dernière retraite.

Quelques jours après la résolution qu’ils prirent de ne plus courir inutilement les salons, ils éprouvèrent dans leur solitude de la rue de Boulogne un tel malaise, qu’ils songèrent à partir pour la Noiraude. Ils y allaient, d’ailleurs, sans se promettre d’y goûter le moindre apaisement. Un tel espoir leur eût paru ridicule. Depuis la nuit où ils s’étaient enfuis devant Jacques, ils se trouvaient comme poussés par un vent de folle terreur qui ne leur permettait pas de reprendre haleine. Leur répugnance à choisir un parti, leurs continuels délais les avaient plongés dans une somnolence lourde où leur volonté se noyait. Ils s’étaient peu à peu habitués à cet état d’attente anxieuse, ils n’avaient plus la force d’en sortir. Indifférents en apparence, à demi engourdis, ils laissaient passer les journées, vides et mornes. Ils se disaient bien que Jacques reviendrait un matin ou l’autre ; ils étaient même inquiets du silence qu’il gardait, ils le croyaient de retour à Paris. Mais ils s’oubliaient dans leur stupeur au point de ne plus chercher à lui échapper. Cela aurait duré des années, sans qu’ils eussent l’idée de se soustraire à leurs souffrances par quelque dénouement violent. Il leur fallait une secousse nouvelle pour achever de les briser. En attendant, ils vivaient dans une douleur vague, allant où les menait leur instinct. Ils regagnaient la Noiraude, moins pour fuir Jacques, que pour changer de lieu. Leurs troubles d’esprit leur rendaient insupportable cette vie cloîtrée qui, autrefois, les endormait si heureusement. L’idée d’un voyage, d’un déplacement rapide, les tentait. D’autre part, on était déjà au milieu d’avril, les matinées devenaient tièdes, la saison de villégiature commençait. Puisqu’ils n’étaient pas faits pour le monde, ils préféraient retourner souffrir dans le silence et la paix de la campagne.