Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tirant vers le petit hôtel. Et elle songeait : « Je le tiendrai tout à l’heure, je le prendrai dans le tiroir, et je m’en frapperai. » Mais comme elle montait la rue de Clichy, un pareil suicide lui répugna. Elle aurait voulu voir Guillaume avant de se tuer, lui expliquer les raisons de sa mort. Sa fièvre se calmait, un coup de tête lui semblait odieux.

Elle revint sur ses pas, elle prit à la gare un train qui partait justement pour Mantes. Pendant les deux heures que dura le trajet, une seule pensée battit dans son cerveau : « Je me tuerai à la Noiraude, se disait-elle, quand j’aurai prouvé à Guillaume la nécessité de ma mort. » Les secousses régulières et monotones du wagon, les bruits assourdissants du train en marche, berçaient d’une étrange façon son idée de suicide ; elle croyait entendre le grondement des roues répéter en échos : « Je me tuerai, je me tuerai. » À Mantes, elle monta en diligence. Accoudée à une portière, elle regarda la campagne, elle reconnut, au bord de la route, certaines maisons qu’elle avait vues de nuit quelques mois auparavant, lorsqu’elle était passée en cabriolet avec Guillaume. Et la campagne, les maisons, tout lui semblait redire la pensée unique qui tournait au fond de son être : « Je me tuerai, je me tuerai. »

Elle descendit de diligence à quelques minutes de Véteuil. Un chemin de traverse devait la conduire directement à la Noiraude. Le crépuscule tombait, d’une douceur exquise. Les horizons tremblants s’évanouissaient dans la nuit. Les champs devenaient noirs sous le ciel laiteux, frissonnants d’un bruit de prières et de chansons mourantes, qui traînaient au fond du jour agonisant. Comme Madeleine s’avançait rapidement dans un sentier bordé de haies d’aubépines, elle entendit les pas d’une personne qui se dirigeait de son côté. Une voix fêlée s’éleva. Cette voix chantait :

Il était un riche pacha
Que l’on appelait Mustapha.
Pour son sérail il acheta
Mademoiselle Catinka.