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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/31

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MADELEINE FÉRAT

amant, j’ai gardé mon orgueil. Aujourd’hui, je comprends que je roule à la honte… Ne m’en veuillez pas d’être franche.

Elle prononça ces mots avec une telle tristesse que les fiertés du jeune homme s’amollirent. Il redevint doux et caressant.

— Vous ignorez qui je suis, dit-il. Confiez-vous à moi. Je ne ressemble pas aux autres hommes. Je vous aimerai comme ma femme, et je vous rendrai heureuse, je vous le jure.

Madeleine ne répondit pas. Elle croyait avoir l’expérience de la vie ; elle se disait que Guillaume la quitterait un jour, et que la honte viendrait. Elle était forte cependant, elle savait qu’elle pouvait résister ; mais elle n’éprouvait aucune envie de résistance, malgré les raisonnements qu’elle se tenait. Toutes ses résolutions se brisaient dans une heure fatale. Elle était étonnée elle-même d’accepter si aisément ce que, la veille encore, elle aurait repoussé avec une froide énergie.

Guillaume songeait. Pour la première fois, la jeune femme venait de lui parler de son passé, de lui avouer que déjà elle avait eu un amant ; cet amant, dont il retrouvait le souvenir vivant et ineffaçable dans chaque geste, dans chaque parole de sa compagne, lui paraissait se dresser entre eux, maintenant que son ombre avait été évoquée.

Les jeunes gens gardèrent le silence pendant longtemps, ayant résolu de s’unir et attendant l’heure du coucher avec une singulière méfiance. Ils se sentaient accablés par des pensées lourdes et inquiètes ; pas un mot d’amour, pas une caresse ne leur montaient aux lèvres ; s’ils avaient parlé, ils se seraient dit leur malaise. Guillaume tenait la main de Madeleine ; mais cette main restait glacée, inerte dans la sienne. Jamais il n’aurait cru que sa première causerie d’amour serait si pleine d’anxiété. La nuit les enveloppait, son amante et lui, de son ombre et de son mystère ; ils étaient seuls séparés du