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MADELEINE FÉRAT

monde, perdus dans le charme âpre d’une nuit d’orage, et rien ne battait au fond de leur être que la peur et que l’incertitude du lendemain.

Et autour d’eux, la campagne, trempée de pluie, s’endormait lentement, agitée encore par un dernier frisson de volupté. La fraîcheur devenait pénétrante ; la senteur âcre de terre et de feuilles mouillées flottait plus lourde, chargée d’ivresse, pareille à l’odeur vineuse qui s’échappe d’une cuve. Il n’y avait plus un seul nuage au ciel ; la nappe d’un bleu sombre s’animait du fourmillement vivant d’un peuple d’étoiles.

Madeleine eut un frisson subit.

— J’ai froid, dit-elle, rentrons.

Ils rentrèrent sans échanger une parole. L’hôtesse les accompagna jusque dans leur chambre, et les quitta, en laissant sur le coin d’une table une bougie qui éclairait les murs d’une lueur vacillante. C’était une petite pièce, tapissée d’un ignoble papier à grandes fleurs bleuâtres, que l’humidité avait déteint par larges plaques. Un grand lit de bois blanc, peint en rouge sombre, tenait presque tout le carreau. Un air glacial tombait du plafond, des odeurs de moisi traînaient dans les coins.

Les jeunes gens frissonnèrent en entrant. Il leur sembla qu’on leur jetait des linges mouillés sur les épaules. Ils restèrent silencieux, allant et venant dans la pièce. Guillaume voulut fermer les volets et y travailla longtemps sans pouvoir y parvenir ; un obstacle devait exister quelque part.

— Il y a un crochet en haut, dit Madeleine malgré elle.

Guillaume la regarda en face, d’un mouvement instinctif. Ils devinrent très-pâles l’un et l’autre. Tous deux souffrirent de cet aveu involontaire : la jeune femme connaissait le crochet, elle avait dormi dans cette chambre.

Le lendemain, Madeleine s’éveilla la première. Elle descendit doucement du lit et s’habilla en contemplant Guillaume qui sommeillait encore. Il y avait presque de la