Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/311

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elle se serait sans doute jetée sur le cadavre avec des sanglots déchirants ; la certitude qu’elle n’existerait bientôt plus l’empêchait de sentir la perte de son enfant. Elle éprouva le seul désir de l’embrasser une dernière fois. Mais comme elle se penchait, elle crut voir Jacques devant elle, il lui sembla que Lucie avait les lèvres du jeune homme, ces lèvres qu’elle avait baisées si voluptueusement le matin même. D’un mouvement effaré, elle se rejeta en arrière.

Geneviève, qui venait d’interrompre ses prières, vit ce mouvement d’effroi. Elle regardait Madeleine fixement, de son air implacable.

— Ainsi sont punis les enfants des coupables, murmura-t-elle sans la quitter des yeux. Dieu châtie les pécheurs dans leur descendance, à jamais.

Madeleine eut un accès de rage folle contre cette femme qu’elle rencontrait sous ses pas, à chaque nouveau malheur, et qui lui jetait alors au visage ses monstrueuses croyances.

— Pourquoi me regardez-vous ainsi ? cria-t-elle. Je suis donc bien étrange à voir !… J’avais oublié cela, vous allez m’insulter, vous ! J’aurais dû me dire que je vous trouverais jusqu’à la dernière heure, le bras levé, impitoyable comme le destin… Vous êtes la fatalité, vous êtes le châtiment.

Les regards de la fanatique luisaient. Elle répéta avec une joie farouche, dans une sorte d’exaltation prophétique :

— L’heure vient, l’heure vient.

— Oh ! j’ai assez de souffrance, reprit âprement Madeleine, je veux être punie, je me punirai… Mais ce n’est pas vous qui me condamnez. Vous n’avez pas failli, vous n’avez pas vécu, et vous ne sauriez juger la vie… Pouvez-vous me consoler ?

— Non, répondit la protestante, il faut que vos larmes coulent, que vous rendiez grâce à la main qui vous châtie.

— Pouvez-vous faire que Guillaume m’aime encore et