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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/312

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retrouve la paix ? Pouvez-vous me promettre que je souffrirai seule, le jour où je m’humilierai ?

— Non, si Guillaume souffre, c’est qu’il est coupable. Dieu sait où il frappe.

Madeleine se redressa avec une violence superbe.

— Eh bien ! alors, cria-t-elle, si vous ne pouvez rien, que faites-vous là, pourquoi me torturez-vous ?… Je n’ai pas besoin de Dieu. Je me juge et me condamne moi-même.

Elle s’arrêta épuisée. En baissant la tête, elle aperçut le cadavre de sa fille qui semblait l’écouter, la bouche ouverte. Elle eut honte de son emportement dont les éclats passaient avec des bruits de fouet sur ce pauvre corps endormi. Elle s’abîma un instant dans le spectacle de ce néant, comme attirée, goûtant la folie de la mort. Le calme lourd de Lucie, l’expression de repos figée sur son visage, lui promettaient une éternité de sommeil, un bercement sans fin dans les bras du vide. Il lui vint un désir bizarre, elle voulut savoir combien de temps il lui faudrait pour être ainsi glacée et rigide.

— À quelle heure est-elle morte ? demanda-t-elle à Geneviève qui avait repris ses prières.

— À midi, répondit la protestante.

Cette courte réponse tomba sur la tête de Madeleine comme un coup de massue. Geneviève aurait-elle raison ? Serait-ce sa faute qui aurait tué sa fille ? À midi elle était dans les bras de Jacques, et à midi Lucie mourait. Cette coïncidence lui parut fatale, atroce. Elle entendait ses plaintes d’amour se mêler aux râles d’agonie de son enfant, elle devenait folle en comparant cette scène de volupté à cette scène de mort. Pendant quelques minutes, elle resta écrasée, stupide. Puis elle se demanda ce qu’elle faisait là, ce qu’elle était venue chercher à la Noiraude. Elle ne savait plus, sa tête se vidait. Elle s’interrogeait avec angoisse : « Pourquoi suis-je donc accourue si vite de Paris ? J’avais un projet. » Et elle faisait des efforts inouïs de mémoire. Brusquement la mémoire lui