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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/317

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procéder froidement, bien établir que toute espérance était morte, ne pas se jeter dans la mort par folie, y entrer au contraire après avoir prouvé l’impossibilité d’une guérison quelconque. Elle insista encore sur les motifs qui la poussaient.

— Ne faisons rien contre la raison, reprit-elle, rappelle-toi bien les faits… Je voulais mourir dans cette auberge. Puis, je ne t’ai pas encore avoué cela, la pensée de ma fille m’a arrêtée. Aujourd’hui, Lucie est morte, je puis m’en aller… J’ai ta promesse.

— Oui, répondit Guillaume, nous allons mourir ensemble.

Elle le regarda d’un air d’étonnement et d’effroi. Et, d’une voix rapide :

— Que dis-tu là ? s’écria-t-elle. Tu ne dois pas mourir, toi, Guillaume. Cela n’est jamais entré dans mes résolutions. Je ne veux pas que tu meures. Ce serait un crime inutile.

Le jeune homme eut un geste désespéré de protestation.

— Tu n’as pas compté, dit-il, que je resterais seul à souffrir.

— Qui te parle de souffrance ! reprit-elle dédaigneusement. Est-ce que tes faiblesses te reprendraient ? Est-ce que tu aurais peur de pleurer ?… S’il ne s’agissait que de douleur, je resterais, je lutterais encore. Mais c’est moi qui suis ton mal, ta plaie vive. Je m’en vais parce que je te gêne.

— Tu ne mourras pas seule.

— Je t’en prie, Guillaume, épargne-moi, n’augmente pas ma faute. Si je t’entraîne dans ma chute, je serai encore plus coupable, je m’en irai plus désespérée… Ma chair est maudite, elle rend amer tout ce qui t’entoure. Quand je n’existerai plus, tu te calmeras, tu pourras tenter de nouveau le bonheur.

Guillaume perdait sa tranquillité froide. L’idée qu’il allait se retrouver seul à souffrir l’épouvantait.