Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/320

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— Tu sais bien que cela est impossible, répondit-elle.

Elle luttait sourdement ; elle donnait de brusques secousses pour dégager ses mains. Mais son mari les tenait serrées dans les siennes ; il haletait et répétait :

— Donne-moi ce flacon, donne-moi ce flacon.

— Voyons, dit la jeune femme d’une voix rauque, ne fais pas l’enfant. Lâche-moi.

Il ne répondit plus. Il travaillait à lui écarter les doigts un à un pour lui arracher la fiole. Ses mains étaient toutes rouges du sang des coupures de Madeleine. Comme celle-ci sentait ses forces s’en aller, elle parut prendre un parti suprême.

— Tout ce que je viens de te dire, reprit-elle, ne t’a donc pas prouvé que j’ai besoin de la mort et qu’il y a cruauté à me la refuser ?

Il garda encore le silence.

— Tu ne te rappelles donc pas, continua-t-elle plus violemment, la chambre d’auberge que j’ai habitée avec mon amant ; tu ne te rappelles pas cette table où j’ai écrit : J’aime Jacques, et ces rideaux bleus que j’écartais pendant les nuits étouffantes d’été ?

Au nom de Jacques, il eut un frisson ; mais il ne mit que plus de rage à vouloir s’emparer du flacon. Alors la jeune femme s’affola.

— Tant pis ! cria-t-elle, je voulais t’épargner une dernière angoisse ; mais tu me forces à être brutale… Ce matin j’ai menti, je n’avais rien oublié ; si je suis restée à Paris, c’était pour aller voir Jacques ; je voulais l’éloigner de nous, et je suis tombée sur sa poitrine comme une catin… Entends-tu, Guillaume, je sors des bras de Jacques.

Sous le coup brusque de cet aveu, Guillaume lâcha enfin les mains de Madeleine. Ses bras inertes retombèrent, ses yeux se fixèrent stupidement sur sa femme, Il recula lentement.

— Ah ! tu vois bien, dit-elle avec un étrange sourire de triomphe, que tu consens à ma mort.

Il reculait toujours. Arrivé à la muraille, il s’y adossa,