Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/319

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faible. Je croyais ne pas devoir disposer de moi, avant de t’avoir expliqué les causes de ma mort. Tu vois que j’ai bien ma raison.

Guillaume eut un cri sublime de désespoir :

— Il fallait te tuer sans rien me dire, je me serais tué ensuite… Tu es cruelle avec ta raison.

Il s’était assis sur le bord de la table, défaillant. Madeleine résolut d’en finir. Elle se sentait lasse, elle avait hâte de se reposer dans la mort. Un secret égoïsme lui faisait abandonner son mari à sa destinée. Maintenant qu’elle avait fait tous ses efforts pour le sauver, elle s’endormirait tranquille. Elle ne se sentait pas le courage de vivre encore pour l’obliger à vivre.

— Ne te débats pas ainsi, lui dit-elle en regardant rapidement autour d’elle. Il faut que je meure, n’est-ce pas ? Ne dis pas non… Laisse-moi faire.

Elle venait d’apercevoir le petit meuble marqueté dans lequel M. de Viargue avait enfermé les toxiques nouveaux, découverts par lui. Quelques minutes auparavant, en montant l’escalier, elle s’était dit : « Je me jetterai par la fenêtre ; il y a trois étages, je m’écraserai sur les pavés. » Mais la vue de l’étagère, sur les glaces de laquelle un doigt du comte avait écrit le mot : Poisons, en grosses lettres, lui fit choisir un autre genre de suicide. Elle eut un mouvement de joie, elle s’élança vers la petite armoire.

— Madeleine ! Madeleine ! s’écria Guillaume épouvanté.

Mais la jeune femme avait déjà cassé une glace de l’armoire d’un coup de poing. Le verre lui coupa profondément les doigts. Elle prit un flacon, le premier venu. Alors, d’un élan, son mari vint lui saisir les poignets, la mettant ainsi dans l’impossibilité de porter le flacon à ses lèvres. Il sentait le sang tiède de ses coupures lui mouiller les mains.

— Je te briserai les poignets plutôt que de te laisser boire, dit-il. Je veux que tu vives.

Madeleine le regarda en face.