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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/38

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MADELEINE FÉRAT

frances de cet homme. Puis, un jour, la nourrice qui allaitait la petite Madeleine lui mit l’enfant entre les bras. Férat avait oublié qu’il eût une fille. En voyant ce pauvre petit être, il pleura des larmes chaudes qui soulagèrent sa tête et son cœur. Il regarda longtemps Madeleine.

— Elle est faible et délicate comme sa mère, murmura-t-il, elle mourra comme elle.

Dès lors, son désespoir s’attendrit. Il s’habitua à croire que Marguerite n’était pas tout à fait morte. Il avait aimé sa femme en père ; il put, en aimant sa fille, se tromper lui-même, se dire que son cœur n’avait rien perdu. L’enfant était très-frêle ; elle semblait tenir sa petite face pâle de la pauvre morte. Férat goûta une grande joie à ne pas retrouver d’abord sa forte nature dans Madeleine ; il put ainsi s’imaginer qu’elle lui venait tout entière de celle qui n’était plus. Quand il la faisait sauter sur ses genoux, il lui prenait la folle pensée que sa femme était morte pour redevenir enfant, pour qu’il l’aimât d’une tendresse nouvelle.

Jusqu’à l’âge de deux ans, Madeleine resta chétive. Elle était toujours entre la vie et la mort. Née d’une mourante, elle avait dans les yeux une ombre vague que le sourire éclairait rarement. Son père l’aimait davantage pour les maux qu’elle souffrait. Ce fut sa faiblesse même qui la sauva ; les maladies n’avaient pas prise sur ce pauvre petit corps. Les médecins la condamnaient, et elle vivait toujours, comme luit une de ces lueurs pâles de veilleuse qui agonisent sans jamais s’éteindre. Puis, quand elle eut deux ans, la santé afflua brusquement en elle ; en quelques mois, le deuil de ses yeux s’éclaira, le sang lui monta aux lèvres et aux joues. Ce fut une résurrection.

Jusque-là elle avait ressemblé à une petite morte, blanche et muette ; elle ne savait ni rire, ni jouer. Lorsqu’elle put se tenir sur ses jambes, devenues fortes, elle emplit la maison de son babil et de ses pas