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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/43

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MADELEINE FÉRAT

cation qui redoubla ce frisson. Elle avait l’air d’un garçon bon enfant et tapageur ; on se contenta de vouloir en faire une petite fille hypocrite. Si l’on ne put y réussir, c’est que sa nature refusa de se discipliner aux légers saluts gracieux, aux airs de tête penchés et languissants, aux mensonges du visage et du cœur. Mais elle n’en grandit pas moins au milieu de jeunes coquettes, dans un air où traînaient des parfums énervants de boudoir. Les paroles mielleuses de ses sous-maîtresses, qui avaient ordre d’être les servantes des élèves, les femmes de chambre de ce petit peuple d’héritières, amollirent ses volontés. Chaque jour, elle entendait dire autour d’elle : « Ne pensez pas, n’ayez pas l’air fort ; apprenez à être faible, vous êtes ici pour cela. » Elle perdit quelques-uns de ses entêtements, sans parvenir à se composer une ligne de conduite, de tous les conseils de coquetterie qu’elle recevait ; elle resta amoindrie, dévoyée. La notion des devoirs de la femme finit presque par lui échapper ; elle la remplaça par un grand amour d’indépendance et de franchise. Elle devait marcher tout droit devant elle, comme un homme, ayant des faiblesses étranges, mais ne mentant jamais, et assez forte pour se punir le jour où elle aurait commis une infamie.

La vie de recluse qu’elle menait, l’enfonça davantage dans les idées fausses qu’elle se faisait du monde. Lobrichon, sous la tutelle duquel elle avait été placée, venait à peine la voir de loin en loin, et se contentait de lui donner une petite tape sur la joue, en lui recommandant d’être bien sage. Une mère l’aurait éclairée sur les erreurs de son esprit. Elle grandissait, solitaire, toute à ses raisonnements, ne recevant les conseils étrangers qu’avec une sorte de défiance. Les moindres enfantillages devenaient graves pour elle, parce qu’elle les acceptait comme seule règle de conduite possible. Ses camarades, en allant le dimanche chez leurs parents, y apprenaient chaque fois un peu de la vie. Pendant ce temps, elle restait au pensionnat, elle se persuadait de plus en plus de la jus-