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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/42

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MADELEINE FÉRAT

pendant les classes d’anglais, et ne se cachaient pas leur espérance d’être enlevées une nuit ou l’autre. De pareilles causeries étaient sans danger pour de petits êtres souples et rusés. Madeleine, au contraire en subit à jamais l’influence.

Férat avait donné à sa fille un esprit net, la décision rapide et logique de sa nature d’ouvrier. L’enfant, dès qu’elle crut commencer à connaître la vie, chercha à se faire une idée définitive du monde, d’après ce qu’elle voyait et ce qu’elle entendait au pensionnat. Elle conclut, des enfantillages de ses camarades, qu’il n’était pas mal d’aimer un homme, et qu’on pouvait aimer le premier venu. Le mot de mariage était rarement prononcé par ces demoiselles. Madeleine, dont les idées étaient toujours des idées simples, des idées d’action, s’imagina qu’on prenait un amant dans la rue, au bras duquel on s’en allait tranquillement. Ces pensées ne la troublaient en rien ; elle était d’un tempérament froid, elle parlait d’amour avec ses amies comme elle aurait parlé de toilette. Elle se disait seulement : « Si jamais j’aime un homme, je ferai comme Blanche : je lui écrirai de longues lettres et je tâcherai de le forcer à m’enlever. » Et il y avait, dans sa rêverie, une pensée de lutte qui la ravissait : c’était tout le plaisir qu’elle se promettait de goûter. Plus tard, quand elle connut réellement les hontes de la vie, elle sourit avec tristesse en se rappelant ses raisonnements de jeune fille. Mais il resta toujours au fond d’elle, à son insu même, l’idée qu’il est logique et franc, lorsqu’on aime un homme, de le lui dire et de s’éloigner avec lui.

Un pareil caractère eût été capable des volontés les plus fermes. Malheureusement, rien ne le cultiva dans sa franchise et dans sa force. Madeleine ne demandait qu’à suivre une route large, unie ; elle tendait vers la tranquillité, vers tout ce qui est puissant et serein. Il eût suffi qu’on l’armât contre ses heures de faiblesse, qu’elle fût guérie de ce frisson de servante amoureuse que sa mère avait mis en elle. Elle reçut, au contraire, une édu-