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MADELEINE FÉRAT

qu’à assouvir sa passion. Il se disait qu’une violence suprême briserait peut-être la jeune fille et la jetterait vaincue dans ses bras. Vers minuit, il monta à la chambre de sa pupille ; il possédait une clef de cette chambre, et souvent, par les nuits chaudes, il s’y était glissé, pour regarder l’enfant demi-nue, dans le désordre du sommeil.

Madeleine fut brusquement réveillée par une étrange sensation de fièvre. La veilleuse n’ayant pas été éteinte, elle vit Lobrichon qui s’était coulé à côté d’elle et qui cherchait à la serrer contre lui. Elle le prit à la gorge, des deux mains, avec une vigueur incroyable, sauta vivement à terre et maintint sur le lit le misérable qui râlait. La vue de ce vieillard en chemise, pâle et blafard, dont les membres avaient touché les siens, lui causa un horrible dégoût. Il lui sembla qu’elle n’était plus vierge. Elle tint un instant Lobrichon immobile, le regardant fixement de ses yeux gris, se demandant si elle n’allait point l’étrangler ; puis elle le repoussa avec une telle violence que sa tête alla heurter le mur de l’alcôve et qu’il retomba évanoui.

La jeune fille s’habilla rapidement et quitta la maison. Elle descendit vers la Seine. Comme elle longeait les quais, elle entendit sonner une heure. Elle marcha droit devant elle, se disant qu’elle marcherait ainsi jusqu’au matin et qu’elle chercherait ensuite une chambre. Elle s’était calmée, elle n’éprouvait plus qu’une tristesse profonde. Une seule idée tournait dans sa tête : la passion était honteuse, elle n’aimerait jamais. Elle voyait toujours les jambes blanchâtres du vieillard en chemise.

Comme elle arrivait au Pont-Neuf, elle s’engagea dans la rue Dauphine, pour éviter une bande d’étudiants qui battaient les murs. Elle continua à aller devant elle, ne sachant plus où elle se trouvait. Bientôt elle s’aperçut qu’un homme la suivait ; elle voulut fuir, mais l’homme courut et la rejoignit. Alors, avec la décision et la franchise de sa nature, elle se tourna vers l’inconnu, auquel elle conta son histoire, en quelques mots. Celui-ci lui offrit