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MADELEINE FÉRAT

poliment le bras, lui conseillant d’accepter son hospitalité. C’était un grand jeune homme d’une physionomie gaie et sympathique. Madeleine l’examina en silence, puis elle accepta son bras d’un air tranquille et confiant.

Le jeune homme habitait une chambre d’hôtel, rue Soufflot. Il dit à sa compagne de se coucher dans le lit ; lui, il dormirait fort bien sur le canapé. Madeleine songeait ; elle regardait la chambre, où traînaient des épées et des pipes, elle suivait des yeux son protecteur, qui la traitait en camarade, avec une familiarité cordiale. Elle remarqua une paire de gants de femme sur la table. Son compagnon la rassura en riant ; il lui dit qu’aucune dame ne viendrait les déranger, et que, d’ailleurs, s’il avait été marié, il n’aurait pas couru après elle dans la rue. Madeleine rougit.

Le lendemain, elle s’éveilla dans les bras du jeune homme. Elle s’y était jetée d’elle-même, poussée par un abandon soudain dont elle ne pouvait se rendre compte. Ce qu’elle avait refusé à Lobrichon avec une sauvage révolte, elle était venue l’accorder deux heures plus tard à un inconnu. Elle n’éprouvait aucun regret. Elle s’étonnait seulement.

Quand son amant sut que son histoire de la veille n’était pas un conte, il parut fort surpris. Il pensait avoir rencontré une rusée qui mentait pour se faire désirer davantage. Toute la petite scène jouée avant le coucher lui avait paru préparée à l’avance. Autrement, il ne se serait pas conduit si légèrement, il aurait surtout réfléchi aux conséquences graves d’une pareille liaison. C’était un brave garçon qui consentait à s’amuser, mais qui avait une peur salutaire des amours sérieuses. Il comptait donner simplement l’hospitalité à Madeleine pendant une nuit, et la voir s’éloigner le lendemain. Il fut très-attristé de sa méprise.

— Ma pauvre enfant, dit-il à Madeleine d’une voix émue, nous avons commis une grosse faute. Pardonne-moi et oublie-moi… Je dois quitter la France dans quelques semaines, j’ignore si j’y reviendrai jamais.