Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
MADELEINE FÉRAT

habiter ces appartements dont les portes restaient toujours closes. Il préférait les allées du parc, et encore n’osait-il s’éloigner, tant la vieille protestante l’avait rendu poltron et frissonnant.

Parfois, il rencontrait son père, dont la vue le faisait trembler. Jusqu’à l’âge de cinq ans, il l’avait à peine aperçu. Le comte oubliait qu’il possédait un fils. Il ne s’était même pas inquiété des formalités qu’il aurait à remplir un jour s’il désirait l’adopter. L’enfant avait été forcément déclaré comme né de père et de mère inconnus. M. de Viargue savait que le notaire feindrait de toujours ignorer l’existence du bâtard de sa femme, et il se promettait de régulariser plus tard la situation de Guillaume. N’ayant pas d’autre héritier, il comptait lui léguer sa fortune. Ces pensées, d’ailleurs, ne l’occupaient guère ; il était tout à ses expériences, plus ironique et plus hautain que jamais ; il écoutait sans répondre les nouvelles que Geneviève lui donnait de loin en loin de l’enfant.

Un jour, comme il descendait au parc, il le rencontra marchant seul, donnant la main à la vieille femme. Il fut très-étonné de le trouver grandi. Guillaume, qui entrait dans sa cinquième année, portait un de ces adorables costumes d’enfant d’étoffes légères et voyantes. Le père, un peu ému, s’arrêta pour la première fois ; il prit son fils et, l’élevant à la hauteur de son visage, il le regarda attentivement. Guillaume, par un phénomène mystérieux du sang, ressemblait à la mère du comte. Cette ressemblance frappa celui-ci et le toucha. Il mit un baiser sur le front du pauvre petit, qui tremblait.

À partir de ce jour, il ne rencontra jamais son fils sans l’embrasser. Il l’aimait à sa manière, autant qu’il pouvait aimer. Mais son étreinte était froide, le baiser rapide qu’il lui donnait à l’occasion ne suffisait pas pour gagner le cœur de l’enfant. Lorsque Guillaume pouvait éviter le comte, sans que celui-ci s’en aperçût, il était presque heureux d’échapper à sa caresse. Cet homme sévère qui parcourait la Noiraude, pareil une ombre roide et muette,