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MADELEINE FÉRAT

lui causait plus d’épouvante que d’affection. Geneviève, à laquelle M. de Viargue avait donné l’ordre de l’élever ouvertement comme son fils, lui présentait toujours son père en maître terrible et tout-puissant, et ce mot de père n’éveillait dans sa pensée qu’une idée de terreur respectueuse.

Guillaume vécut ainsi pendant ses huit premières années. Tout le poussa à la faiblesse, l’étrange éducation de la vieille protestante et la crainte que lui inspirait le comte. Il était condamné à garder pendant sa vie entière les frissons, la sensibilité maladive de son enfance. Quand il eut huit ans, M. de Viargue l’envoya comme pensionnaire au collége communal De Véteuil. Il s’était sans doute aperçu de la cruelle façon dont Geneviève l’élevait, il voulait le soustraire entièrement à l’influence de ce cerveau détraqué. Au collége, Guillaume commença dans la douleur l’apprentissage de la vie ; il devait fatalement être blessé à chaque pas.

Les années qu’il passa en pension furent un long martyre, un de ces martyres d’enfant seul et abandonné que tout écrase et qui ne peut savoir ce dont il est coupable. Les habitants de Véteuil nourrissaient contre M. de Viargue une haine sourde, faite de jalousie et de pruderie ; ils ne lui pardonnaient pas d’être riche et d’agir à sa guise ; le scandale de la naissance de Guillaume servait de thème sans fin à leurs médisances. Ils se vengèrent de l’indifférence méprisante du père qu’ils continuaient à saluer humblement, sur la faiblesse du fils dont ils pouvaient briser le cœur sans danger. Les enfants de la ville, ceux qui avaient douze et seize ans, connaissaient tous l’histoire de Guillaume pour l’avoir entendu raconter cent fois dans leur famille ; on parlait chez eux de cet enfant adultérin avec une telle indignation, qu’ils se firent un devoir, quand ils l’eurent pour camarade, de torturer le pauvre être honni de Véteuil entier. Leurs parents eux-mêmes les poussèrent à cette lâcheté, en riant sournoisement des persécutions dont ils le poursuivaient.

Dès la première récréation, Guillaume sentit à l’attitude