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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/71

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MADELEINE FÉRAT

était pour lui une monstruosité inexplicable dont il aurait voulu trouver le fond. Il demanda même à Geneviève s’il ne devait pas chercher à la voir. La protestante lui répondit rudement qu’il était fou.

— Votre mère est morte, ajouta-t-elle de sa voix inspirée ; priez pour elle.

Geneviève aimait toujours l’enfant du péché, malgré les terreurs que lui causait une pareille tendresse. Maintenant que cet enfant était devenu homme, elle se défendait davantage contre son cœur. Au fond, elle était d’un dévouement aveugle et absolu.

À deux reprises, Jacques vint passer ses vacances d’étudiant à Véteuil. Ce furent pour Guillaume des mois de joie folle. Les deux amis ne se quittaient pas ; ils chassaient des journées entières, ou pêchaient des écrevisses dans le petit ruisseau qui traverse le pays. Souvent, au fond de quelque trou perdu, ils s’asseyaient et causaient de Paris, surtout des femmes. Jacques en parlait légèrement, en homme qui ne les estimait guère, mais qui avait la galanterie de les traiter avec douceur et de ne point dire sur elles sa pensée toute crue. Et Guillaume alors lui reprochait chaleureusement sa sécheresse d’âme ; il mettait la femme sur un piédestal, en faisait une idole devant laquelle il chantait un éternel cantique de foi et d’amour.

— Laisse donc ! s’écriait l’étudiant impatienté, tu ne sais pas ce que tu dis. Tu ennuieras singulièrement tes maîtresses, si tu restes toujours à genoux devant elles. Mais tu feras comme les autres, tu tromperas et tu seras trompé. C’est la vie.

– Non, non, répondait-il avec entêtement, je ne ferai pas comme les autres. Je n’aimerai jamais qu’une seule femme, et je l’aimerai tant que je défie le sort de troubler nos tendresses.

– Bah ! nous verrons.

Et Jacques riait de la naïveté de son cher provincial. Il le scandalisait presque par le récit de ses passions d’une