Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
MADELEINE FÉRAT

dans la solitude rêvée, loin du bruit, au fond d’une retraite où pas un être ne pouvait venir troubler son extase. C’était là, pour lui, la félicité suprême : se savoir hors du monde, ne plus craindre d’être blessé par personne, se livrer à toute la paix attendrie de son cœur, n’avoir auprès de lui qu’une créature, et vivre de la beauté et de l’amour de cette créature. Une pareille existence le consolait de sa jeunesse douloureuse ; pas d’affection jusqu’à cette heure, un père hautain et ironique, une vieille fanatique dont les caresses l’effrayaient, un ami qui ne suffisait pas à calmer ses fièvres d’adoration. Et des persécutions écrasantes, une enfance de martyr et une adolescence d’exilé, une longue suite d’angoisses qui lui avaient fait désirer ardemment l’ombre et le silence complets, l’anéantissement de son être endolori dans une douceur sans fin. Aussi se reposait-il, se cachait-il entre les bras de Madeleine, en homme las et peureux. Toutes ses jouissances étaient faites de calme. Jamais une telle paix ne lui semblait devoir finir. Il s’imaginait que l’éternité s’étendait devant lui, l’éternité que l’on dort sous la terre et qu’il dormait dans les bras de la jeune femme.

Tous deux, ils se donnaient moins d’amour que d’apaisement. On eût dit qu’un hasard les avait poussés l’un vers l’autre pour qu’ils pussent essuyer le sang de leurs blessures. Ils éprouvaient un égal besoin de repos, et leurs tendresses étaient comme les remercîments qu’ils s’adressaient des heures tranquilles et heureuses qu’ils goûtaient ensemble. Ils jouissaient des jours présents avec un égoïsme d’affamés. Il leur semblait qu’ils existaient seulement depuis leur rencontre ; jamais un souvenir ne leur venait dans leurs longues causeries d’amoureux ; Guillaume ne s’inquiétait plus des années que Madeleine avait vécues avant de le connaître, et la jeune femme ne songeait pas à le questionner, comme font les amantes, sur sa vie d’autrefois. Il leur suffisait d’être côte à côte, de rire, d’être heureux comme des enfants qui n’ont ni le regret de la veille ni le souci du lendemain.