Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/95

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cou sur lequel couraient également de longues taches jaunâtres. Dans la chute, le crâne avait heurté le parquet ; un mince filet de sang coulait jusque sous le fourneau, où il faisait une petite mare. L’agonie paraissait avoir duré quelques secondes à peine.

Devant ce cadavre, Geneviève recula en poussant un cri. Adossée au mur, elle balbutiait une prière vague. Ce qui la terrifiait surtout, c’était les taches que le corps portait à la face et au cou, et qui ressemblaient à des meurtrissures : le diable avait enfin étranglé son maître, la marque de ses doigts le prouvait du reste. Depuis longtemps, elle s’attendait à ce dénoûment ; quand elle voyait le comte s’enfermer, elle murmurait : « Il va encore invoquer le Maudit ; Satan lui jouera quelque mauvais tour ; une de ces nuits, il le prendra à la gorge pour avoir son âme tout de suite. » Sa prédiction se réalisait, et elle frissonnait en pensant à la terrible lutte qui avait dû amener la mort de l’hérétique. Son imagination ardente lui montrait le diable, noir et velu, sautant à la gorge de sa victime, lui arrachant son âme et disparaissant par le trou de la cheminée.

Le cri qu’elle venait de pousser, attira les domestiques. Ces gens que M. de Viargue avait soigneusement choisis parmi les paysans les plus illettrés de la contrée, furent persuadés comme elle que leur maître était mort en se battant contre le démon. Ils le descendirent et le couchèrent sur un lit, avec des frissons de peur, tremblant de voir sortir quelque animal immonde par la bouche ouverte et noire du cadavre. Il resta acquis à plusieurs lieues à la ronde que le comte était sorcier et que Satan l’avait emporté. Le médecin qui vint constater le décès, l’expliqua d’une autre façon ; il comprit à l’aspect des taches livides marbrant la peau, qu’il y avait eu empoisonnement, et sa curiosité de savant fut même singulièrement piquée par la nature étrange de ces plaques jaunâtres dont l’action d’aucun toxique connu n’avait pu déterminer l’apparition ; il pensa avec raison que le vieux chi-