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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/96

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miste avait dû s’empoisonner à l’aide d’un agent nouveau découvert par lui dans ses longues recherches. Ce médecin était un homme prudent : il dessina les taches par amour de la science, et garda pour lui le secret de cette mort violente. Il attribua le décès à un cas d’apoplexie foudroyante, voulant éviter le scandale que n’aurait pas manqué de soulever l’aveu du suicide de M. de Viargue. On a toujours intérêt à ménager la mémoire des riches et des puissants.

Guillaume arriva une heure avant l’enterrement. Sa douleur fut grande. Le comte l’avait toujours traité avec froideur ; en le perdant, il ne pouvait sentir se déchirer en lui une affection que rien n’avait nouée fortement ; mais le pauvre garçon était alors dans un état d’esprit si fiévreux qu’il versa des larmes abondantes. Au sortir des jours inquiets et pénibles qu’il venait de passer avec Madeleine, le moindre chagrin devait le pousser aux larmes. Peut-être n’eût-il pas trouvé un sanglot deux mois auparavant.

Au retour de l’enterrement, Geneviève le fit monter dans sa chambre. Là, avec sa cruauté tranquille de fanatique, elle lui dit qu’elle s’était rendue coupable de sacrilège en laissant ensevelir son père en terre sainte. Brutalement, elle lui conta à sa façon l’histoire de cette mort qu’elle attribuait au diable. Elle ne lui aurait peut-être pas donné ces détails sur la tombe à peine fermée du comte, si elle n’avait désiré en tirer une morale ; elle sermonna le jeune homme, lui demanda le serment de ne jamais conclure de pacte avec l’enfer. Guillaume jura tout ce qu’elle voulut. Il l’écoutait d’un air hébété, tout secoué par sa douleur, ne pouvant comprendre pourquoi elle lui parlait de Satan, se sentant devenir fou au récit que sa voix perçante lui faisait de la lutte de son père avec le démon. Il entendit simplement ce qu’elle lui dit des taches que le cadavre portait à la face et au cou. Il devint très-pâle, n’osant encore accepter la pensée qui lui venait.