Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/99

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voulait pas, par tendresse pour elle et par mépris pour la foule, qu’on la possédât après lui. Et le jeune homme s’imaginait douloureusement cette journée où le vieux savant, pris de rage, avait dévasté son laboratoire. Il le voyait jetant à coups de pied les appareils contre les murs, brisant les fioles sur le parquet, arrachant les planches, déchirant et brûlant ses manuscrits. Une heure, quelques minutes peut-être, avaient suffit pour anéantir les recherches âpres d’une existence entière. Puis, quand pas une de ses découvertes, pas une de ses observations n’avait subsisté ; quand il s’était trouvé seul debout au milieu de son laboratoire en ruine, il avait dû s’asseoir et s’essuyer le front avec un étrange et terrible sourire.

Ce qui glaçait surtout Guillaume, c’était l’idée des atroces journées que cet homme avait passées ensuite au fond de cette pièce, de cette tombe où dormaient sa vie, ses travaux, ses amours. Pendant des mois, il s’y était enfermé comme jadis ne touchant plus à rien, marchant de long en large, perdu dans le néant qu’il avait cru trouver. Il écrasait sous ses pieds les morceaux de ses chers instruments, il repoussait dédaigneusement les fragments de ses manuscrits, les tessons des fioles contenant encore quelques parcelles des corps analysés ou découverts par lui ; ou bien il achevait l’œuvre de destruction, renversait un pot resté plein, donnait un dernier coup de talon sur un appareil. Quelles pensées de suprême dédain, quelles railleries âcres, quel amour de la mort étaient montés à sa tête puissante, pendant les longues heures qu’il avait vécu oisif et songeur sur les ruines volontaires de son œuvre !

Rien ne restait. Guillaume, en faisant le tour de la pièce, finit cependant par apercevoir un objet que la main de son père avait respecté : c’était une sorte d’étagère accrochée au mur, une petite bibliothèque vitrée contenant des flacons pleins de liquides de couleurs diverses. Le comte, qui s’occupait beaucoup de toxicologie avait enfermé là des poisons violents encore inconnus et trouvés par lui. La