Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/190

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lit, la tête faible, ne cherchant pas même à me souvenir, car le souvenir était une fatigue et un chagrin. Je me sentais plein de pudeur et de crainte. Lorsque je pourrais sortir, j’irais voir. Peut-être, dans le délire de la fièvre, avais-je laissé échapper un nom ; mais jamais le médecin ne fit allusion à ce que j’avais pu dire. Sa charité resta discrète.

Cependant, l’été était venu. Un matin de juin, j’obtins enfin la permission de faire une courte promenade. C’était une matinée superbe, un de ces gais soleils qui donnent une jeunesse aux rues du vieux Paris. J’allais doucement, questionnant les promeneurs à chaque carrefour demandant la rue Dauphine. J’y arrivai, et j’eus de la peine à reconnaître l’hôtel meublé où nous étions descendus. Une peur d’enfant m’agitait. Si je me présentais brusquement à Marguerite, je craignais de la tuer. Le mieux peut-être serait de prévenir d’abord cette vieille femme, madame Gabin, qui logeait là. Mais il me déplaisait de mettre quelqu’un entre nous. Je ne m’arrêtais à rien. Tout au fond de moi, il y avait comme un grand vide, comme un sacrifice accompli depuis longtemps.

La maison était toute jaune de soleil. Je l’avais reconnue à un restaurant borgne, qui se trouvait