Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/35

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Ces reproches étaient si peu proportionnés à la faute, que madame Rostand crut devoir calmer son fils, lorsque Naïs ne fut plus là.

— Qu’as-tu donc contre cette pauvre fille ? On dirait que tu ne peux la souffrir… Je te prie d’être plus doux pour elle. C’est une ancienne camarade de jeu, et elle n’a pas ici la situation d’une servante ordinaire.

— Eh ! elle m’ennuie ! répondit Frédéric, en affectant un air de brutalité.

Le soir même, à la nuit tombée, Naïs et Frédéric se rencontrèrent dans l’ombre, au bout de la terrasse. Ils ne s’étaient point encore parlé seul à seule. On ne pouvait les entendre de la maison. Les pins secouaient dans l’air mort une chaude senteur résineuse. Alors, elle, à voix basse, demanda, en retrouvant le tutoiement de leur enfance :

— Pourquoi m’as-tu grondée, Frédéric ?… Tu es bien méchant.

Sans répondre, il lui prit les mains, il l’attira contre sa poitrine, la baisa aux lèvres. Elle le laissa faire, et s’en alla ensuite, pendant qu’il s’asseyait sur le parapet, pour ne point paraître devant sa mère tout secoué d’émotion. Dix minutes plus tard, elle servait à table, avec son grand calme un peu fier.