Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/367

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je vais aller chez le commissaire de police, pour qu’il te ramène chez moi avec les gendarmes… C’est mon droit, n’est-ce pas, Berru ?

Le peintre appuya de la tête. Cette scène l’amusait beaucoup. Pourtant, quand il vit Damour furieux, grisé de ses propres phrases, et Félicie à bout de force, près de sangloter et de défaillir, il crut devoir jouer un beau rôle. Il intervint, en disant d’un ton sentencieux :

— Oui, oui, c’est ton droit ; mais il faut voir, il faut réfléchir… Moi, je me suis toujours conduit proprement… Avant de rien décider, il serait convenable de causer avec monsieur Sagnard, et puisqu’il n’est pas là…

Il s’interrompit, puis continua, la voix changée, tremblante d’une fausse émotion :

— Seulement, le camarade est pressé. C’est dur d’attendre, dans sa position… Ah ! madame, si vous saviez combien il a souffert ! Et, maintenant, pas un radis, il crève de faim, on le repousse de partout… Lorsque je l’ai rencontré tout à l’heure, il n’avait pas mangé depuis hier.

Félicie, passant de la crainte à un brusque attendrissement, ne put retenir les larmes qui l’étouffaient. C’était une tristesse immense, le regret et le dégoût de la vie. Un cri lui échappa :