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Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/81

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veille, il avait fini son dernier morceau de pain. Plus d’argent et pas un ami pour lui prêter vingt sous. La pluie était tombée toute la journée, une de ces pluies grises de Paris qui sont si froides. Un fleuve de boue coulait dans les rues. Nantas, trempé jusqu’aux os, était allé à Bercy, puis à Montmartre, où on lui avait indiqué des emplois ; mais, à Bercy, la place était prise, et l’on n’avait pas trouvé son écriture assez belle, à Montmartre. C’étaient ses deux dernières espérances. Il aurait accepté n’importe quoi, avec la certitude qu’il taillerait sa fortune dans la première situation venue. Il ne demandait d’abord que du pain, de quoi vivre à Paris, un terrain quelconque pour bâtir ensuite pierre à pierre. De Montmartre à la rue de Lille, il marcha lentement, le cœur noyé d’amertume. La pluie avait cessé, une foule affairée le bousculait sur les trottoirs. Il s’arrêta plusieurs minutes devant la boutique d’un changeur : cinq francs lui auraient peut-être suffi pour être un jour le maître de tout ce monde ; avec cinq francs on peut vivre huit jours, et en huit jours on fait bien des choses. Comme il rêvait ainsi, une voiture l’éclaboussa, il dut s’essuyer le front, qu’un jet de boue avait souffleté. Alors, il marcha plus vite, serrant les dents,