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LES ROUGON-MACQUART

put s’approcher de lui, elle demanda tout bas :

— Viendra-t-il ?

— Non, il n’a pas voulu, répondit brutalement le journaliste pris à l’improviste, bien qu’il eût préparé une histoire pour expliquer le refus du comte Muffat.

Il eut conscience de sa bêtise, en voyant la pâleur de la jeune femme, et tâcha de rattraper sa phrase.

— Il n’a pas pu, il mène ce soir la comtesse au bal du ministère de l’intérieur.

— C’est bon, murmura Nana, qui le soupçonnait de mauvaise volonté. Tu me paieras ça, mon petit.

— Ah ! dis donc, reprit-il, blessé de la menace, je n’aime pas ces commissions-là. Adresse-toi à Labordette.

Ils se tournèrent le dos, ils étaient fâchés. Justement, Mignon poussait Steiner contre Nana. Lorsque celle-ci fut seule, il lui dit à voix basse, avec un cynisme bon enfant de compère qui veut le plaisir d’un ami :

— Vous savez qu’il en meurt… Seulement, il a peur de ma femme. N’est-ce pas que vous le défendrez ?

Nana n’eut pas l’air de comprendre. Elle souriait, elle regardait Rose, son mari et le banquier ; puis, elle dit à ce dernier :

— Monsieur Steiner, vous vous mettrez à côté de moi.

Mais des rires vinrent de l’antichambre, des chuchotements, une bouffée de voix gaies et bavardes, comme si tout un couvent échappé se fût trouvé là. Et Labordette parut, traînant cinq femmes derrière lui, son pensionnat, selon le mot méchant de Lucy Stewart. Il y avait Gaga, majestueuse dans une robe de velours bleu qui la sanglait, Caroline