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NANA

elle s’adressa au comte de Vandeuvres, il se souvint brusquement ; c’étaient les jeunes gens qu’il avait racolés chez le comte Muffat. Nana le remercia. Très bien, très bien. Seulement, on serait joliment serré ; et elle pria Labordette d’aller faire ajouter sept couverts. À peine était-il sorti, que le valet introduisit de nouveau trois personnes. Non, cette fois, ça devenait ridicule ; on ne tiendrait pas, pour sûr. Nana, qui commençait à se fâcher, disait de son grand air que ce n’était guère convenable. Mais, en en voyant arriver encore deux, elle se mit à rire, elle trouvait ça trop drôle. Tant pis ! on tiendrait comme on tiendrait. Tous étaient debout, il n’y avait que Gaga et Rose Mignon assises, Bordenave accaparant à lui seul deux fauteuils. Les voix bourdonnaient, on parlait bas, en étouffant de légers bâillements.

— Dis donc, ma fille, demanda Bordenave, si on se mettait à table tout de même ?… Nous sommes au complet, n’est-ce pas ?

— Ah ! oui, par exemple, nous sommes au complet ! répondit-elle en riant.

Elle promenait ses regards. Mais elle devint sérieuse, comme étonnée de ne pas trouver quelqu’un là. Sans doute il manquait un convive dont elle ne parlait point. Il fallait attendre. Quelques minutes plus tard, les invités aperçurent au milieu d’eux un grand monsieur, à figure noble et à belle barbe blanche. Et le plus surprenant était que personne ne l’avait vu entrer ; il devait s’être glissé dans le petit salon par une porte de la chambre à coucher, restée entr’ouverte. Un silence régna, des chuchotements couraient. Le comte de Vandeuvres savait certainement qui était le monsieur, car ils avaient tous deux échangé une discrète poignée de main ; mais il répondit par un sourire aux questions des femmes.