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LES ROUGON-MACQUART

Alors, Caroline Héquet, à demi-voix, paria pour un lord anglais, qui retournait le lendemain se marier à Londres ; elle le connaissait bien, elle l’avait eu. Et cette histoire fit le tour des dames ; seulement, Maria Blond prétendait, de son côté, reconnaître un ambassadeur allemand, à preuve qu’il couchait souvent avec une de ses amies. Parmi les hommes, en phrases rapides, on le jugeait. Une tête de monsieur sérieux. Peut-être qu’il payait le souper. Probable. Ça sentait ça. Bah ! pourvu que le souper fût bon ! Enfin, on resta dans le doute, on oubliait déjà le vieillard à barbe blanche, lorsque le maître d’hôtel ouvrit la porte du grand salon.

— Madame est servie.

Nana avait accepté le bras de Steiner, sans paraître remarquer un mouvement du vieillard, qui se mit à marcher derrière elle, tout seul. D’ailleurs, le défilé ne put s’organiser. Les hommes et les femmes entrèrent débandés, plaisantant avec une bonhomie bourgeoise sur ce manque de cérémonie. Une longue table allait d’un bout à l’autre de la vaste pièce, vide de meubles ; et cette table se trouvait encore trop petite, car les assiettes se touchaient. Quatre candélabres à dix bougies éclairaient le couvert, un surtout en plaqué, avec des gerbes de fleurs à droite et à gauche. C’était un luxe de restaurant, de la porcelaine à filets dorés, sans chiffre, de l’argenterie usée et ternie par les continuels lavages, des cristaux dont on pouvait compléter les douzaines dépareillées dans tous les bazars. Cela sentait une crémaillère pendue trop vite, au milieu d’une fortune subite, et lorsque rien n’était encore en place. Un lustre manquait ; les candélabres, dont les bougies très hautes s’éméchaient à peine, faisaient un jour pâle et jaune au-dessus des compotiers, des assiettes montées, des