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LES ROUGON-MACQUART


— Et Steiner ? demanda brusquement Mignon.

— Monsieur Steiner est parti hier pour le Loiret, dit Barillot, qui retournait sur la scène. Je crois qu’il va acheter là-bas une campagne…

— Ah ! oui, je sais, la campagne de Nana.

Mignon était devenu grave. Ce Steiner qui avait promis un hôtel à Rose, autrefois ! Enfin, il fallait ne se fâcher avec personne, c’était une occasion à retrouver. Pris de rêverie, mais supérieur toujours, Mignon se promenait de la cheminée à la console. Il n’y avait plus que lui et Fauchery dans le foyer. Le journaliste, fatigué, venait de s’allonger au fond du grand fauteuil ; et il restait bien tranquille, les paupières demi-closes, sous les regards que l’autre jetait en passant. Quand ils étaient seuls, Mignon dédaignait de le bourrer de tapes ; à quoi bon ? puisque personne n’aurait joui de la scène. Il se désintéressait trop pour s’amuser lui-même à ses farces de mari goguenard. Fauchery, heureux de ce répit de quelques minutes, allongeait languissamment les pieds devant le feu, les yeux en l’air, voyageant du baromètre à la pendule. Dans sa marche, Mignon se planta en face du buste de Potier, le regarda sans le voir, puis retourna devant la fenêtre, où le trou sombre de la cour se creusait. La pluie avait cessé, un silence profond s’était fait, alourdi encore par la grosse chaleur du coke et le flamboiement des becs de gaz. Plus un bruit ne montait des coulisses. L’escalier et les couloirs semblaient morts. C’était une de ces paix étouffées de fin d’acte, lorsque toute la troupe enlève sur la scène le vacarme assourdissant de quelque finale, tandis que le foyer vide s’endort dans un bourdonnement d’asphyxie.

— Ah ! les chameaux ! s’écria tout à coup la voix enrouée de Bordenave.