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NANA

les châssis, contre les murs de la scène, et venaient les attacher aux mâts, avec de fortes cordes. Au fond, pour produire le coup de lumière que jetait la forge ardente de Vulcain, un lampiste avait fixé un portant, dont il allumait les becs garnis de verres rouges. C’était une confusion, une apparente bousculade, où les moindres mouvements étaient réglés ; tandis que, dans cette hâte, le souffleur, pour délasser ses jambes, se promenait à petits pas.

— Son Altesse me comble, disait Bordenave en s’inclinant toujours. Le théâtre n’est pas grand, nous faisons ce que nous pouvons… Maintenant, si Son Altesse daigne me suivre…

Déjà le comte Muffat se dirigeait vers le couloir des loges. La pente assez rapide de la scène l’avait surpris, et son inquiétude venait beaucoup de ce plancher qu’il sentait mobile sous ses pieds ; par les costières ouvertes, on apercevait les gaz brûlant dans les dessous ; c’était une vie souterraine, avec des profondeurs d’obscurité, des voix d’hommes, des souffles de cave. Mais, comme il remontait, un incident l’arrêta. Deux petites femmes, en costume pour le troisième acte, causaient devant l’œil du rideau. L’une d’elles, les reins tendus, élargissant le trou avec ses doigts, pour mieux voir, cherchait dans la salle.

— Je le vois, dit-elle brusquement. Oh ! cette gueule !

Bordenave, scandalisé, se retint pour ne pas lui lancer un coup de pied dans le derrière. Mais le prince souriait, l’air heureux et excité d’avoir entendu ça, couvant du regard la petite femme qui se fichait de Son Altesse. Elle riait effrontément. Cependant, Bordenave décida le prince à le suivre. Le comte Muffat, pris de sueur, venait de retirer son chapeau ;