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LES ROUGON-MACQUART

doute, ils étaient en lieu sûr, et jamais elle n’aurait osé le questionner, car elle montrait des pudeurs avec cet oiseau, comme l’appelait madame Lerat. Elle tremblait qu’il pût la croire capable de tenir à lui pour ses quatre sous. Il avait bien promis de fournir aux besoins du ménage. Les premiers jours, chaque matin, il donnait trois francs. Mais c’étaient des exigences d’homme qui paie ; avec ses trois francs, il voulait de tout, du beurre, de la viande, des primeurs ; et, si elle risquait des observations, si elle insinuait qu’on ne pouvait pas avoir les Halles pour trois francs, il s’emportait, il la traitait de bonne à rien, de gâcheuse, de fichue bête que les marchands volaient, toujours prêt d’ailleurs à la menacer de prendre pension autre part. Puis, au bout d’un mois, certains matins, il avait oublié de mettre les trois francs sur la commode. Elle s’était permis de les demander, timidement, d’une façon détournée. Alors, il y avait eu de telles querelles, il lui rendait la vie si dure sous le premier prétexte venu, qu’elle préférait ne plus compter sur lui. Au contraire, quand il n’avait pas laissé les trois pièces de vingt sous, et qu’il trouvait tout de même à manger, il était gai comme un pinson, galant, baisant Nana, valsant avec les chaises. Et elle, tout heureuse, en arrivait à souhaiter de ne rien trouver sur la commode, malgré le mal qu’elle avait à joindre les deux bouts. Un jour même, elle lui rendit ses trois francs, contant une histoire, disant avoir encore l’argent de la veille. Comme il n’avait pas donné la veille, il demeura un instant hésitant, par crainte d’une leçon. Mais elle le regardait de ses yeux d’amour, elle le baisait dans un don absolu de toute sa personne ; et il rempocha les pièces, avec le petit tremblement convulsif d’un avare qui rattrape une somme