Page:Zola - Nana.djvu/326

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
326
LES ROUGON-MACQUART

— Oh ! tout à fait, balbutia-t-il, étranglé encore, les regards troubles.

— Quand je te dis que je tiens la femme honnête ! J’ai essayé chez moi, pas une n’a mon petit air de duchesse qui se fiche des hommes ; as-tu remarqué, lorsque j’ai passé devant toi, en te lorgnant ? On a cet air-là dans les veines… Et puis, je veux jouer une femme honnête ; j’en rêve, j’en suis malheureuse, il me faut le rôle, tu entends !

Elle était devenue sérieuse, la voix dure, très émue, souffrant réellement de son bête de désir. Muffat, toujours sous le coup de ses refus, attendait, sans comprendre. Il y eut un silence. Pas un vol de mouche ne troublait la paix de la maison vide.

— Tu ne sais pas, reprit-elle carrément, tu vas me faire donner le rôle.

Il resta stupéfait. Puis, avec un geste désespéré :

— Mais c’est impossible ! Tu disais toi-même que ça ne dépendait pas de moi.

Elle l’interrompit d’un haussement d’épaules.

— Tu vas descendre et tu diras à Bordenave que tu veux le rôle… Ne sois donc pas si naïf ! Bordenave a besoin d’argent. Eh bien ! tu lui en prêteras, puisque tu en as à jeter par les fenêtres.

Et, comme il se débattait encore, elle se fâcha.

— C’est bien, je comprends : tu crains de fâcher Rose… Je ne t’en ai pas parlé, de celle-là, lorsque tu pleurais par terre ; j’aurais trop long à en dire… Oui, quand on a juré à une femme de l’aimer toujours, on ne prend pas le lendemain la première venue. Oh ! la blessure est là, je me souviens !… D’ailleurs, mon cher, ça n’a rien de ragoûtant, le reste des Mignon ! Est-ce qu’avant de faire la bête sur mes genoux, tu n’aurais pas dû rompre avec ce sale monde !