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Page:Zola - Nana.djvu/35

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NANA

cachot, où il avait fait des cocottes, au lieu de conjuguer le verbe aimer. La toile tomba sur une apothéose, le chœur des cocus agenouillé, chantant un hymne de reconnaissance à Vénus, souriante et grandie dans sa souveraine nudité.

Les spectateurs, déjà debout, gagnaient les portes. On nomma les auteurs, et il y eut deux rappels, au milieu d’un tonnerre de bravos. Le cri : « Nana ! Nana ! » avait roulé furieusement. Puis, la salle n’était pas encore vide, qu’elle devint noire, la rampe s’éteignit, le lustre baissa, de longues housses de toile grise glissèrent des avant-scènes, enveloppèrent les dorures des galeries ; et cette salle, si chaude, si bruyante, tomba d’un coup à un lourd sommeil, pendant qu’une odeur de moisi et de poussière montait. Au bord de sa loge, attendant que la foule se fût écoulée, la comtesse Muffat, toute droite, emmitouflée de fourrures, regardait l’ombre.

Dans les couloirs, on bousculait les ouvreuses qui perdaient la tête, parmi des tas de vêtements écroulés. Fauchery et la Faloise s’étaient hâtés, pour assister à la sortie. Le long du vestibule, des hommes faisaient la haie, tandis que, du double escalier, lentement, deux interminables queues descendaient, régulières et compactes. Steiner, entraîné par Mignon, avait filé des premiers. Le comte de Vandeuvres partit avec Blanche de Sivry à son bras. Un instant, Gaga et sa fille semblèrent embarrassées, mais Labordette s’empressa d’aller leur chercher une voiture, dont il referma galamment la portière sur elles. Personne ne vit passer Daguenet. Comme l’échappé de collège, les joues brûlantes, décidé à attendre devant la porte des artistes, courait au passage des Panoramas, dont il trouva la grille fermée, Satin, debout sur le trottoir, vint le frôler de ses ju-