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NANA

sévères, un luxe cossu de bourgeois enrichis. Rose, en robe de soie grise, garnie de bouillonnés et de nœuds rouges, souriait, heureuse de la joie d’Henri et de Charles, assis sur la banquette de devant, engoncés dans leurs tuniques trop larges de collégien. Mais, quand le landau fut venu se ranger près de la barrière, et qu’elle aperçut Nana triomphante au milieu de ses bouquets, avec ses quatre chevaux et sa livrée, elle pinça les lèvres, très raide, tournant la tête. Mignon, au contraire, la mine fraîche, l’œil gai, envoya un salut de la main. Lui, par principe, restait en dehors des querelles de femmes.

— À propos, reprit Nana, connaissez-vous un petit vieux bien propre, avec des dents mauvaises ?… Un monsieur Venot… Il est venu me voir ce matin.

— Monsieur Venot, dit Georges stupéfait. Pas possible ! c’est un jésuite.

— Précisément, j’ai flairé ça. Oh ! vous n’avez pas idée de la conversation ! Ç’a été d’un drôle !… Il m’a parlé du comte, de son ménage désuni, me suppliant de rendre le bonheur à une famille… Très poli d’ailleurs, très souriant… Alors, moi, je lui ai répondu que je ne demandais pas mieux, et je me suis engagée à remettre le comte avec sa femme… Vous savez, ce n’est pas une blague, je serais enchantée de les voir tous heureux, ces gens ! Puis, ça me soulagerait, car il y a des jours, vrai ! où il m’assomme.

Sa lassitude des derniers mois lui échappait dans ce cri de son cœur. Avec ça, le comte paraissait avoir de gros embarras d’argent ; il était soucieux, le billet signé à Labordette menaçait de n’être pas payé.

— Justement, la comtesse est là-bas, dit Georges, dont les regards parcouraient les tribunes.

— Où donc ? s’écria Nana. A-t-il des yeux, ce bébé !… Tenez mon ombrelle, Philippe.