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LES ROUGON-MACQUART

Mais Georges, d’un mouvement brusque, avait devancé son frère, ravi de porter l’ombrelle de soie bleue à frange d’argent. Nana promenait une énorme jumelle.

— Ah ! oui, je la vois, dit-elle enfin. Dans la tribune de droite, près d’un pilier, n’est-ce pas ? Elle est en mauve, avec sa fille en blanc, à côté d’elle… Tiens ! Daguenet qui va les saluer.

Alors, Philippe parla du prochain mariage de Daguenet avec cette perche d’Estelle. C’était une chose faite, on publiait les bans. La comtesse résistait d’abord ; mais le comte, disait-on, avait imposé sa volonté. Nana souriait.

— Je sais, je sais, murmura-t-elle. Tant mieux pour Paul. C’est un gentil garçon, il mérite ça.

Et, se penchant vers Louiset :

— Tu t’amuses, dis ?… Quelle mine sérieuse !

L’enfant, sans un sourire, regardait tout ce monde, l’air très vieux, comme plein de réflexions tristes sur ce qu’il voyait. Bijou, chassé des jupes de la jeune femme qui remuait beaucoup, était allé trembler contre le petit.

Cependant, la pelouse s’emplissait. Des voitures, continuellement, arrivaient par la porte de la Cascade, en une file compacte, interminable. C’étaient de grands omnibus, la Pauline partie du boulevard des Italiens, chargée de ses cinquante voyageurs, et qui allait se ranger à droite des tribunes ; puis, des dog-cart, des victorias, des landaus d’une correction superbe, mêlés à des fiacres lamentables que des rosses secouaient ; et des four-in-hand, poussant leurs quatre chevaux, et des mail-coach, avec les maîtres en l’air, sur les banquettes, laissant à l’intérieur les domestiques garder les paniers de champagne ; et encore des araignées dont