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LES ROUGON-MACQUART

si pieuse… Croyez-vous qu’elle accompagnera le roi ?

— On ne le pense pas, madame, répondit-il.

Elle ne couchait avec personne, cela sautait aux yeux. Il suffisait de la voir là, près de sa fille, si nulle et si guindée sur son tabouret. Ce salon sépulcral, exhalant une odeur d’église, disait assez sous quelle main de fer, au fond de quelle existence rigide elle restait pliée. Elle n’avait rien mis d’elle, dans cette demeure antique, noire d’humidité. C’était Muffat, qui s’imposait, qui dominait, avec son éducation dévote, ses pénitences et ses jeûnes. Mais la vue du petit vieillard, aux dents mauvaises et au sourire fin, qu’il découvrit tout d’un coup dans son fauteuil, derrière les dames, fut pour lui un argument plus décisif encore. Il connaissait le personnage, Théophile Venot, un ancien avoué qui avait eu la spécialité des procès ecclésiastiques ; il s’était retiré avec une belle fortune, il menait une existence assez mystérieuse, reçu partout, salué très bas, même un peu craint, comme s’il eût représenté une grande force, une force occulte qu’on sentait derrière lui. D’ailleurs, il se montrait très humble, il était marguillier à la Madeleine, et avait simplement accepté une situation d’adjoint à la mairie du neuvième arrondissement, pour occuper ses loisirs, disait-il. Fichtre ! la comtesse était bien entourée ; rien à faire avec elle.

— Tu as raison, on crève ici, dit Fauchery à son cousin, lorsqu’il se fut échappé du cercle des dames. Nous allons filer.

Mais Steiner, que le comte Muffat et le député venaient de quitter, s’avançait furieux, suant, grognant à demi-voix :

— Parbleu ! qu’ils ne disent rien, s’ils veulent ne rien dire… J’en trouverai qui parleront.