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LES ROUGON-MACQUART

tellement elle avait dépêché le troisième acte de la Blonde Vénus, mangeant les répliques, sautant des couplets.

— C’est toujours trop bon pour ce tas d’imbéciles, dit-elle. Avez-vous vu ? il y avait des têtes, ce soir !… Zoé, ma fille, vous attendrez ici. Ne vous couchez pas, j’aurai peut-être besoin de vous… Bigre ! il était temps. Voilà du monde.

Elle s’échappa. Georges restait par terre, la queue de son habit balayant le sol. Il rougit en voyant Daguenet le regarder. Cependant, ils s’étaient pris de tendresse l’un pour l’autre. Ils refirent le nœud de leur cravate devant la grande psyché, et se donnèrent mutuellement un coup de brosse, tout blancs de s’être frottés à Nana.

— On dirait du sucre, murmura Georges, avec son rire de bébé gourmand.

Un laquais, loué à la nuit, introduisait les invités dans le petit salon, une pièce étroite où l’on avait laissé quatre fauteuils seulement, pour y entasser le monde. Du grand salon voisin, venait un bruit de vaisselle et d’argenterie remuées ; tandis que, sous la porte, une raie de vive clarté luisait. Nana, en entrant, trouva, déjà installée dans un des fauteuils, Clarisse Besnus, que la Faloise avait amenée.

— Comment ! tu es la première ! dit Nana, qui la traitait familièrement depuis son succès.

— Eh ! c’est lui, répondit Clarisse. Il a toujours peur de ne pas arriver… Si je l’avais cru, je n’aurais pas pris le temps d’ôter mon rouge et ma perruque.

Le jeune homme, qui voyait Nana pour la première fois, s’inclinait et la complimentait, parlant de son cousin, cachant son trouble sous une exagération de politesse. Mais Nana, sans l’écouter, sans le