Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/259

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attendre là l’ordre de nous porter en avant. Le champ de bataille se trouvait merveilleusement choisi pour s’égorger à l’aise. L’immense plaine s’étendait toute nue, à plusieurs lieues, sans un arbre, sans une maison. Des haies, des broussailles faisaient de maigres taches sur la blancheur du sol. Jamais je n’ai revu une pareille campagne, une mer de poussière, un sol crayeux, crevé çà et là, montrant ses entrailles brunes. Et jamais non plus, je n’ai revu un ciel d’une pureté si ardente, une si belle et si chaude journée de juillet ; à huit heures, l’air embrasé brûlait déjà nos visages. Ô la splendide matinée, et quelle plaine stérile pour tuer et mourir !

Depuis longtemps la fusillade éclatait avec des bruits secs et irréguliers, appuyée de la voix grave du canon. Les ennemis, des Autrichiens aux vêtements blafards, avaient quitté les hauteurs, et la plaine était sillonnée de longues files d’hommes qui me paraissaient gros comme des insectes. On eût dit une fourmilière en insurrection. Des nuages de fumée traînaient sur le champ de bataille. Par instants, lorsque ces nuages se déchiraient, j’apercevais des soldats qui fuyaient, pris d’une terreur panique. Il y avait ainsi des courants d’effroi qui emportaient les hommes, des