Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

meur, et maintenant je suis jaloux, car je vois bien que jamais je ne pourrais t’aimer autant qu’elle t’aime. « Dites-lui, me répétait-elle hier en rougissant, que s’il se fait tuer, j’irai me jeter dans la rivière, à l’endroit où il m’a donné à boire. »

« Pour l’amour de Dieu ! ménage ta vie. Il est des choses que je ne puis comprendre, mais je sens bien que le bonheur t’attend ici. J’appelle déjà Babet ma fille ; je la vois à ton bras, dans l’église, lorsque je bénirai votre union. Je veux que ce soit là ma dernière messe.

« Babet est une grande et belle fille maintenant. Elle t’aidera dans tes travaux… »

Le bruit de la fusillade s’était éloigné. Je pleurais des larmes douces. Il y avait des plaintes sourdes parmi les soldats qui râlaient entre les roues des canons. J’en apercevais un qui faisait des efforts pour se débarrasser d’un de ses camarades, blessé comme lui, dont le corps lui écrasait la poitrine ; et, comme ce blessé se débattait en se plaignant, le soldat le repoussa brutalement, le fit rouler sur la pente du monticule, où le misérable hurla de douleur. À ce gémissement, une rumeur monta de l’entassement des cadavres. Le soleil, qui baissait, avait des rayons d’un blond fauve. Le bleu du ciel était plus doux.