Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/284

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lait dans les veines de la vigne, et chargeait l’air de souffles larges. Un sang chaud battait dans ma chair, j’étais comme soulevé par la fécondation qui débordait du sol et qui montait en moi. Le labeur de ce peuple d’ouvriers était mon œuvre, ces vignes étaient mes enfants ; cette campagne entière devenait ma famille plantureuse et obéissante. J’avais plaisir à sentir mes pieds s’enfoncer dans la terre grasse.

Alors, j’embrassai d’un coup d’œil les terrains qui descendaient jusqu’à la Durance, et je possédai ces vignobles, ces prés, ces chaumes, ces oliviers. La maison blanchissait à côté de l’allée de chênes ; la rivière semblait une frange d’argent posée au bord du grand manteau vert de mes pâturages. Je crus un instant que ma taille grandissait, qu’en étendant les bras, j’allais pouvoir serrer contre ma poitrine la propriété entière, les arbres et les prairies, la maison et les terres labourées.

Et comme je regardais, je vis, dans l’étroit sentier qui montait le coteau, une de nos servantes courant à perdre haleine. Elle se heurtait aux cailloux, emportée par son élan, agitant les deux bras, nous appelant de ses gestes éperdus. Une émotion inexprimable me prit à la gorge.