Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/300

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de grosses pertes : nos vignes, nos arbres étaient surpris par les froids ; la grêle hachait nos blés et nos avoines. Et je disais parfois que je devenais vieux, que la fortune, qui est femme, n’aime pas les vieillards. Jacques riait, en me répondant qu’il était jeune, lui, et qu’il allait faire la cour à la fortune.

J’en étais à l’hiver, à la saison froide. Je sentais bien que tout mourait autour de moi. À chaque gaieté qui s’en allait, je songeais à l’oncle Lazare, qui était resté si calme dans la mort ; je demandais des forces à son cher souvenir.

Vers trois heures, le jour tomba complètement. Nous descendîmes dans la salle commune. Babet cousait au coin de la cheminée, la tête penchée ; la petite Marie, assise par terre, en face du feu, habillait gravement une poupée. Jacques et moi, nous nous étions mis devant un bureau d’acajou, qui nous venait de l’oncle Lazare ; nous nous occupions à vérifier nos comptes.

La fenêtre était comme murée ; le brouillard, collé aux vitres, bâtissait une véritable muraille de ténèbres. Derrière cette muraille, se creusait le vide, l’inconnu. Seule, une clameur large, une voix haute, qui emplissait l’ombre, s’élevait dans le silence.