Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/56

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pour comble, on lui demandait de jeûner ! Il m’a avoué depuis que jamais cette vertu républicaine que son père lui avait enseignée, la solidarité, le dévouement de l’individu aux intérêts de la communauté, n’avait été mise en lui à une plus rude épreuve.

Le soir, au réfectoire, — c’était le jour de la morue à la sauce rousse, — la grève commença avec un ensemble vraiment beau. Le pain seul était permis. Les plats arrivent, nous n’y touchons pas, nous mangeons notre pain sec. Et cela gravement, sans causer à voix basse, comme nous en avions l’habitude. Il n’y avait que les petits qui riaient.

Le grand Michu fut superbe. Il alla, ce premier soir, jusqu’à ne pas même manger de pain. Il avait mis les deux coudes sur la table, il regardait dédaigneusement le petit pion qui dévorait.

Cependant, le surveillant fit appeler le proviseur, qui entra dans le réfectoire comme une tempête. Il nous apostropha rudement, nous demandant ce que nous pouvions reprocher à ce dîner, auquel il goûta et qu’il déclara exquis.

Alors le grand Michu se leva.

— Monsieur, dit-il, c’est la morue qui est pourrie, nous ne parvenons pas à la digérer.

— Ah ! bien, cria le gringalet de pion, sans