Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moire, une véritable chambre à coucher, coussin de plume et triple couverture. La nourriture valait le coucher ; jamais de pain, jamais de soupe, rien que de la viande, de la bonne viande saignante.

Eh bien ! au milieu de ces douceurs, je n’avais qu’un désir, qu’un rêve, me glisser par la fenêtre entr’ouverte et me sauver sur les toits. Les caresses me semblaient fades, la mollesse de mon lit me donnait des nausées, j’étais gras à m’en écœurer moi-même. Et je m’ennuyais tout le long de la journée à être heureux.

Il faut vous dire qu’en allongeant le cou, j’avais vu de la fenêtre le toit d’en face. Quatre chats, ce jour-là, s’y battaient, le poil hérissé, la queue haute, se roulant sur les ardoises bleues, au grand soleil, avec des jurements de joie. Jamais je n’avais contemplé un spectacle si extraordinaire. Dès lors, mes croyances furent fixées. Le véritable bonheur était sur ce toit, derrière cette fenêtre qu’on fermait si soigneusement. Je me donnais pour preuve qu’on fermait ainsi les portes des armoires, derrière lesquelles on cachait la viande.

J’arrêtai le projet de m’enfuir. Il devait y avoir dans la vie autre chose que de la chair saignante. C’était là l’inconnu, l’idéal. Un jour, on oublia de