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Page:Zola - Théâtre, 1906.djvu/230

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NOS AUTEURS DRAMATIQUES

là, si l’on veut, qu’une duperie de son tempérament idéaliste, qui lui défendait de voir la vérité vraie et surtout de la reproduire. Le résultat, au demeurant, n’en reste pas moins le même ; Je ne connais rien de plus faux que ses romans champêtres. Les paysans, chez elle, sont des messieurs qui jargonnent, avec une affectation de naïveté insupportable. On dirait des paysans en pâte tendre de Sèvres, dorés et enrubannés. Ils ont un raffinement de sensations, une correction pittoresque de langage des plus curieux. Ce sont les paysans typiques de l’école idéaliste.

Cela, dans la nouveauté, a pu paraître très joli. On s’est extasié pendant trente ans sur les romans champêtres de George Sand. Elle avait nettoyé la campagne et fait des dessus de pendule avec des groupes bucoliques. À cette heure, je crois que l’on commence à s’apercevoir combien sont fades et mensongères de pareilles imaginations. L’autre soir, j’ai remarqué quelque impatience, dans le public de l’Odéon, en écoutant d’étranges phrases, d’une coupe balancée et toute littéraire, sur lesquelles se trouvent plaqués des mots rustiques, ou plutôt des mots de l’ancien français ressuscités pour la circonstance. C’est là ce qui agace : la convention et le parti-pris sont évidents, l’auteur n’a pas un instant cherché à équilibrer le langage et les actions, à descendre dans la façon de sentir, avant de trouver la façon d’exprimer. Je l’ai dit, il y a là un placage, un travail d’ébénisterie littéraire, des pantins déguisés, inventant un langage que personne ne parle, pas plus aux champs qu’à la ville.

Voilà donc où s’en vont les engouements littéraires : au ridicule. Lorsqu’une étude n’est pas basée sur l’observation exacte, on est certain qu’elle prêtera à rire plus tard.

Les gens dont la moralité est susceptible, et qui semblent à chaque pièce se méfier d’un assaut pénible contre leur vertu, se sont toujours montrés très choqués du sujet même de François le Champi, de cette tendresse filiale du pauvre enfant trouvé, qui devient peu à peu de l’amour pour sa mère adoptive, Madeleine. On a prononcé jusqu’au gros mot d’inceste. J’accorde que le sujet est délicat et d’un maniement difficile. Il devait plaire à George Sand, très curieuse de toutes les nuances de l’affection, et dont la bonté tolérante ne mettait pas le mal où les autres le voyaient. D’ailleurs, avec quelles restrictions, avec quelles touches prudentes et délicates elle a traité ce sujet ! On devine plus qu’on ne lit, dans son œuvre.

Une fois le sujet accepté, le dirai-je ? j’aurais souhaité plus de carrure. Elle est très intéressante, cette étude psychologique, et faite pour tenter un puissant analyste. Il y a là un combat profond dans un cœur, des nuances infinies à trouver, une notation de cette transformation dans l’amour qui pouvait faire une grande œuvre. Je me plains donc que, dans la pièce surtout, cette notation n’existe pas. On voit bien le Champi devenir amoureux, et encore la transition est-elle trop brusque. Quant à Madeleine, elle attend le dénouement pour tout comprendre ; puis, quand elle accepte le mariage en trois phrases, on ne sait pas si elle aime François. On ignore ce qui la détermine. Selon moi, toute la pièce aurait dû être dans la peinture des tendresses de Madeleine se transformant peu à peu en une passion pleine de douceur et de reconnaissance Voyez Phèdre, le sujet était autrement difficile à traiter. En somme, l’amour do Madeleine est légitime, et elle y arriverait par une lutte très touchante avec son propre cœur. La faire passive, c’est diminuer l’œuvre.


II


Au théâtre, Mauprat devait fatalement perdre beaucoup. Mon opinion est que le drame est très inférieur au roman. Il faut remarquer que ce conte est fait de deux parties : une légende sanglante et une analyse de sentiments. Dans le livre, la légende tenait strictement sa place, l’analyse se développait à son aise et était la partie la plus finement écrite. Au théâtre, au contraire, toute la longue éducation de Bernard par Edmée, toute cette romanesque liaison d’une fille civilisée et d’un sauvage, a dû disparaître ou du moins se résumer brièvement, tandis que la partie noire déborde et que le drame tourne au gros mélodrame.

Les deux premiers tableaux et les deux derniers ressuscitent les beaux soirs du boulevard du Crime. Cela est indigne de George Sand comme combinaisons grossières et comme style déclamatoire. Qu’on nous ramène à Ducray-Duminil. Quant aux deux tableaux du milieu, ceux dans lesquels Edmée dompte Bernard, ils produisent à la scène un effet qui m’a stupéfié, ils y sont comiques, je veux dire que la salle rit de chaque révolte de Bernard. On entre en pleine comédie, on trouve très drôles cet amoureux si mal commode et cette amoureuse qui fait le pion. Remarquez que jamais l’intention de l’auteur n’a été d’exciter le rire. Le succès a tourné ainsi, il a bien fallu s’accommoder du succès.

Ah ! cette pauvre Edmée, si fière et si touchante dans le roman, comme elle devient là une désagréable personne ! Elle n’a pas une scène vraie, et je plains sincèrement l’actrice chargée de rendre sympathique cette insupportable poupée. Au dernier tableau seulement, elle a un cri d’amour ; mais il vient bien tard, et il est inattendu, parce que forcément toute l’étude analytique du personnage a dû être sacrifiée. J’en dirai autant de Bernard, dont les transformations paraissent trop rapides à la scène. Tout se passe dans les entr’actes. Les meilleurs effets du rôle sont encore les effets comiques, auxquels l’auteur n’avait pas songé.

Les personnages secondaires sont également diminués. Marcasse est d’un ennui mortel, avec son langage monosyllabique. Ce patois petit nègre reste le plus souvent incompréhensible ; on ne sait si l’on a affaire à un Huron de Fenimore Cooper ou à un de ces innocents de village que les gamins poursuivent à coups de pierre. La déchéance de Patience est plus grande encore. Le philosophe rude et libre de la tour Gazeau devient un fidèle serviteur qui radote.

Jamais je n’ai mieux senti le péril qu’il y a à tirer un drame d’un roman. Un drame doit