Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/100

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aurait voulu se pencher et fermer d’un baiser ces grands yeux ouverts. Mais presque dans les jupons, dormait aussi Camille. Le pauvre être, le corps déjeté, montrant sa maigreur, ronflait légèrement ; sous le chapeau, qui lui couvrait à demi la figure, on apercevait sa bouche ouverte, tordue par le sommeil, faisant une grimace bête ; de petits poils roussâtres, clairsemés sur son menton grêle, salissaient sa chair blafarde, et, comme il avait la tête renversée en arrière, on voyait son cou maigre, ridé, au milieu duquel le nœud de la gorge, saillant et d’un rouge brique, remontait à chaque ronflement. Camille, ainsi vautré, était exaspérant et ignoble.

Laurent, qui le regardait, leva le talon, d’un mouvement brusque. Il allait, d’un coup, lui écraser la face.

Thérèse retint un cri. Elle pâlit et ferma les yeux. Elle tourna la tête, comme pour éviter les éclaboussures de sang.

Et Laurent, pendant quelques secondes, resta, le talon en l’air, au dessus de Camille endormi. Puis, lentement, il replia la jambe, il s’éloigna de quelques pas. Il s’était dit que ce serait là un assassinat d’imbécile. Cette tête broyée lui aurait mis la police sur les bras. Il voulait se débarrasser de Camille uniquement pour épouser Thérèse ; il entendait vivre au soleil, après le crime, comme le meurtrier du roulier, dont le vieux Michaud avait conté l’histoire.