Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/101

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Il alla jusqu’au bord de l’eau, regarda couler la rivière d’un air stupide. Puis, brusquement, il rentra dans le taillis ; il venait enfin d’arrêter un plan, d’inventer un meurtre commode et sans danger pour lui.

Alors, il éveilla le dormeur en lui chatouillant le nez avec une paille. Camille éternua, se leva, trouva la plaisanterie excellente. Il aimait Laurent pour ses farces qui le faisaient rire. Puis il secoua sa femme, qui tenait les yeux fermés ; lorsque Thérèse se fut dressée et qu’elle eut secoué ses jupes, fripées et couvertes de feuilles sèches, les trois promeneurs quittèrent la clairière, en cassant les petites branches devant eux.

Ils sortirent de l’île, ils s’en allèrent par les routes, par les sentiers pleins de groupes endimanchés. Entre les haies, couraient des filles en robes claires ; une équipe de canotiers passait en chantant ; des files de couples bourgeois, de vieilles gens, de commis avec leurs épouses, marchaient à petits pas, au bord des fossés. Chaque chemin semblait une rue populeuse et bruyante. Le soleil seul gardait sa tranquillité large ; il baissait vers l’horizon et jetait sur les arbres rougis, sur les routes blanches, d’immenses nappes de clarté pâle. Du ciel frissonnant commençait à tomber une fraîcheur pénétrante.

Camille ne donnait plus le bras à Thérèse ; il causait avec Laurent, riait des plaisanteries et des tours de force de son ami, qui sautait les fossés et soulevait de grosses pierres. La jeune femme, de l’autre côté de la route, s’avançait, la tête penchée, se courbant par-